La dignité, le désintéressement et les lois de la République.


Rédigé le Samedi 17 Mars 2012 à 09:36 | Lu 192 commentaire(s)

Les fonctionnaires sont soumis à diverses obligations professionnelles, au premier rang desquelles figurent l’obligation de dignité et l’obligation de désintéressement.

Ces obligations, reconnues par les lois de la République relatives à la fonction publique, ne s’arrêtent pas au lieu et au temps de travail. Elles englobent toutes les situations, y compris dans la vie privée, qui seraient de nature à rejaillir sur les fonctions. Lesquelles exigent que les individus auxquelles ces dernières sont confiées soient dignes et désintéressés.


Les fonctionnaires sont soumis à diverses obligations professionnelles, au premier rang desquelles figurent l’obligation de dignité et l’obligation de désintéressement.

Ces obligations, reconnues par les lois de la République relatives à la fonction publique, ne s’arrêtent pas au lieu et au temps de travail. Elles englobent toutes les situations, y compris dans la vie privée, qui seraient de nature à rejaillir sur les fonctions. Lesquelles exigent que les individus auxquelles ces dernières sont confiées soient dignes et désintéressés.

Les fonctions publiques sont confiées selon le cas ou selon les endroits, soit par la nomination, soit par l’effet d’une élection, directement (par exemple les parlementaires, le président de la République ou les élus locaux) ou indirectement (par exemple les ministres nommés par un élu).
Mais le rapport avec le citoyen et les droits de ce dernier est le même.

- Si, s'agissant de quelques affaires récentes, (pour parler en raccourci) l’orgasme est une affaire privée (et ne saurait relever d’aucune police des mœurs ni de règles « morale s » de quelque nature ou de quelque origine qu’elles soient), avoir des relations sexuelles dans le service ou qui se font remarquer, appartient alors pour un agent investi d’une charge publique, à la sphère de la dignité.

- Si, dans un autre domaine, chaque individu peut aspirer à gagner plus, les conflits d’intérêts sont contraires au principe de désintéressement (indépendamment de toute incrimination pénale).

Les manquements à ces obligations sont sanctionnés si leurs auteurs sont fonctionnaires.
L’autorité hiérarchique déclenche des poursuites disciplinaires, lesquelles peuvent déboucher sur la révocation.
Le tout sous le contrôle du juge. Qui est en fait le décideur final de la révocation.

Lorsque leurs auteurs sont des titulaires de fonctions électives, ou tiennent leurs fonctions d’élus, les principes tels que les lois de la République les ont cependant reconnus, sont beaucoup moins respectés.
Probablement parce qu’aucun mécanisme efficace n’existe qui permet d’assurer aux citoyens, que ceux auxquels ils ont conféré une magistrature publique, agiront dans la dignité et le désintéressement. C’est à dire, en dernière analyse, dans l’intérêt général.

Le seul risque « important » encouru par les politiques manquant aux obligations dont s’agit, est la sanction pénale. Or ce risque est théorique pour l’essentiel.

Parce que la loi pénale n’incrimine pas, sauf cas exceptionnels (et souvent à juste titre : on ne va pas mettre en prison un ministre ou un élu au seul motif qu’il participe à des « partouzes » entre majeurs consentants) les multiples comportements qui méconnaissent l’obligation de dignité.

Parce que la loi pénale ne sanctionne pas complètement (d’où l’expression de « corruption blanche ») la méconnaissance l’obligation de désintéressement, ainsi que l’existence de conflits d’intérêts multiples le révèle.
Conflits d’intérêts même officiellement organisés ou affichés lorsqu’un personnage est à la fois ministre des finances et encaisseur de fonds pour son parti, ou que, en quittant son portefeuille ministériel, tel autre intègre, avec son carnet d’adresse de ministre, un cabinet d’avocat d’affaires (*)

Parce que la loi pénale est votée par les intéressés au premier chef, il n’est pas envisageable (sauf improbable nuit du 4 août) qu’elle donne plus de garanties aux citoyens.

Parce que lorsqu’un ministre dérape suffisamment, ce dernier est jugé par la classe politique elle-même, assemblée pour l’occasion selon une curieuse conception du principe de la séparation des pouvoirs, en « cour de justice de la République ».

Parce que beaucoup (trop) de juges n’ont pas l’habitude de mettre du zèle à sanctionner les comportements déviants de ceux qui sont (et demeurent ainsi) plus forts qu’eux.

Parce qu’en dehors de ces rares hypothèses, il n’existe rien ou pas grand-chose pour assurer la dignité et le désintéressement des titulaires de missions de service public, dès lors que ces derniers font partie d’une « classe politique » dont on se résigne, à défaut de les approuver, à constater les dérapages.

Pourtant ce serait possible.
En transposant ce qui existe pour les fonctionnaires et qui permet d’écarter de la gestion du service public des individus, qui sans être des délinquants, ne le servent pas dans les règles.

Il suffirait de déterminer les personnes qui auraient intérêt à agir, par exemple les électeurs, ou / et certaines associations, pour déclencher une sorte de procédure disciplinaire, fondée sur le manquement aux obligations attachées à la fonction.

L’électeur pourrait demander au juge, par exemple au juge de l’élection, qu’il prononce la déchéance de l’élu manquant aux obligations de dignité ou de désintéressement.

Le Conseil constitutionnel prononcerait la déchéance du président de la République (le Conseil constitutionnel proclame l’élection du président de la République), des députés et des sénateurs (le Conseil constitutionnel peut annuler leur élection).
 
Les tribunaux administratifs se prononceraient sur les manquements aux obligations de dignité et de désintéressement des élus locaux.
 
Quant aux manquements relevés chez les ministres, ils pourraient être soumis au Conseil d’État, dès lors qu’il est difficile de rattacher l’activité d’un ministre à ressort territorial d’un tribunal administratif particulier.

Il est peu vraisemblable que la classe politique applaudisse à de telles propositions. On voit d’ailleurs les arguments habituels qui y seront opposés : encombrement des tribunaux par des recours multiples et systématiques ; paralysie des titulaires des charges qui craindraient la sanction potentielle des juges ; risque de « gouvernement des juges » ; …

En réalité, l’expérience montre que le contrôle n’a jamais empêché l’action.
L’expérience montre que ce qu’on peut regretter, s’agissant des juges, ce n’est pas qu’ils « gouvernent », mais c’est plutôt qu’ils ne réussissent pas toujours à juger.
Ou, en réalité, qu’ils ne le veulent pas autant que ce serait possible ou que ce serait nécessaire. (On pourrait même avancer que si le juge ne se comporte pas comme un « contre-pouvoir », il ne peut pas servir à grand-chose dans de telles matières, comme en matière de sauvegarde des libertés) (**)

Et puis, les décisions administratives, du décret du président de la République à l’arrêté municipal, peuvent être annulées, et peuvent également engager la responsabilité pécuniaire de la puissance publique. L’administration fonctionne néanmoins.

Et les juridictions administratives font face aux recours.

Les agents publics ne sont pas toujours couverts par leur administration, et doivent indemniser les victimes de leurs « fautes personnelles ».
Sont-ils paralysés à l’idée de casser leur livret de caisse d’épargne lorsque ce qu’ils font n’a pas de rapport avec ce que l’on attend d’eux? Bien sûr que non. Ils savent en revanche qu’il y a des limites à ne pas franchir.

La responsabilité des médecins ou des établissements hospitaliers est de plus en plus mise en cause : a-t-on cessé pour autant de soigner ou d’opérer ?
Non : le médecin fait un peu plus attention à ce qu’il doit dire ou faire.
Et on veille à éviter les maladies nosocomiales. C’est à dire qu’on fait attention … à la propreté.

La dignité et le désintéressement, c’est aussi, d’une certaine manière, la propreté. Et la propreté des uns, c’est en quelque sorte la vie des autres.

Ces principes reconnus par les lois de la République doivent être mis en œuvre de manière plus opérationnelle. Le Conseil d’État a bien décidé qu’il existait en France un principe selon lequel un recours « pour excès de pouvoir » - permettant aux personnes touchées par des décisions irrégulières de faire annuler ces dernières - était ouvert « même sans texte ». Il se prononce sur la légalité des révocations.
On pourrait donc bien imaginer que les juges ouvrent ce « recours en manquement » qui s’impose désormais, dans une logique et un contexte très proches, avec avant autant de force.


Marcel MONIN
17 mars 2012

(*) D’autres mesures, les unes étendant les inéligibilités, les autres restreignant beaucoup plus les possibilités d’aller-retour entre le service public et les activités privées seraient probablement également nécessaires. Si l’on en juge par les situations que le laisser faire - laisser aller a laissées s’installer, et qui ont les répercussions que l’on sait sur la gestion des affaires de l’État.

( **) Comme il serait nécessaire que là où il existe actuellement des textes, ces derniers soient mis en œuvre et que leurs violations soient sanctionnées : ce n’est pas quand il y a du savon dans les toilettes que l’on peut dire que les gens qui les fréquentent ont les mains propres. Il faut donc faire en sorte que les juges aient envie ou soient obligés de prendre une part (beaucoup plus) active dans leur mise en œuvre. Ce sont leurs (futures) décisions (qui seront dénoncées pendant un temps comme iconoclastes) qui, en dernière analyse, garantiront aux citoyens la mise en œuvre concrète et effective des principes de dignité et de désintéressement. Qui sont des principes de la République